Akim Pasquet – Cristal Project / Octobre 2016

« Je cherche à rendre une force des pierres. Particulièrement dans cette future installation avec des cristaux de roche. C’est assez dur. Par contact, et avec un peu d’écoute, on se rend compte qu’elles ont à donner, ou a dialoguer. Avec la distance, et sans écoute, c’est plus complexe, c’est déjà un travail pour les initiés, pour ceux qui ne le sont pas, c’est encore plus compliqué. Le défi est d’arriver à traverser les corps je crois. Et peut être de travailler une «esthétique visuelle», mais j’aimerai que ça passe aussi autrement, et même, que ça passe par du corps avant que par des yeux…
J’ai également des projets de dessins. Des projets de représentations. Il y a une réconciliation qui s’est produite avec le dessin je crois. Et peut être avec l’image, ou avec un type d’image plutôt. Je reviens doucement de mon iconoclasme. Il y aura aussi des représentations, qui seront intégrées ou non dans l’installation. » A.P

Biographie

« Plasticien et doctorant en Arts Plastiques à l’université Jean Monnet, ma recherche porte entre autre sur la définition de ce que peuvent être les affects, envisagés comme transferts d’énergies et le début de ce qu’on pourrait appeler une magie. Des dérives s’organisent peu à peu autour de notions de charges, de rétentions, de communications, de liabilités, de sorts, possessions, de représentations… la constitution d’un vocabulaire qui s’emploie à former un système. Je tente de définir des rapports de forces silencieux, seulement sentis, des rapports souterrains qui opèrent dans les arts plastiques et qui pourraient être apparenter au magique. » A.P

Texte de Maxence Grugier

Rencontre et étude autour d’une future installation

Akim Pasquet, issue d’un cursus d’art plastique (Beaux Arts) se frotte durant cette période de résidence au thème de l’invisible, de l’onde, de la lumière spectrale, du « corps sans organe » Deleuzien.

Le travail d’Akim Pasquet comprends des roches, des cristaux, de la lumière projetée, du mouvement et de l’interaction avec le public (notion d’interactivité, motion capture, etc.) mais surtout le corps du public. « Comment les roches, formes biologiques – géologiques – minérales, influences les ambiances, les comportements, le sensible ? ». Tel est la question que soulève l’approche de l’artiste, le tout présenté sous forme d’installation.

Nos entretiens en amont de toute production et création m’évoquent très vite le terme de « Corps Conducteurs », que je trouve intéressant à divers points de vues : Le corps humain est un conducteur on le sait, réceptacle, point de passage et diffuseur de diverses énergies, tout comme certaines roches et minéraux, dotées d’un pouvoir énergétique selon les traditions anciennes.

Akim Pasquet évoque pour sa part la notion Deleuzienne de « corps sans organe », envisagé comme un concept de base pour commencer à penser un corps énergétique. Il propose également d’autres niveaux conceptuelles, comme l’économie énergétique du corps dans la médecine asiatique (présence des méridiens, chakras, etc.) relié à une religion, à des règles, des significations, et une eschatologie –  ou à l’énergie déployée ou concentrée dans la prière. Le travail sur la « lumière – énergie » d’Akim Pasquet est donc également empreinte de spiritualité.

Son projet d’utiliser la lumière projeter sur des roches cristallines fait également penser à une « sortie » d’énergies, une dynamique hors du lieu de sa production originelle, un rayonnement, ou un courant dirigé (deux formes d’extériorisations différente). A contrario, cette recherche sur les courants invisibles qui animent notre univers peut aussi être un travail de rétention de ces énergies, de captation, d’emprisonnement, de non extériorisation. Une énergie emprisonnée, comme dans un oeuf, par exemple, ou dans un corps harassé en fin de journée mais toujours actif et que l’on dit « bouillonnant » d’énergie.

Thèmes 
  • Le temps
  • Le passé géologique
  • Les propriétés magnétiques des cristaux
  • Les propriétés sonores de la roche
  • Piézoélectricité
Aspect visuel et sensibilisation à l’image

Ces roches, envisagées dans un système de projection avec vidéo-projecteur,  peuvent également être pensées comme des véhicules d’images – en plus d’être des véhicules d’énergies invisibles. A cette affirmation, Akim Pasquet répond ceci :

« J’aime beaucoup cette idée de pierres comme véhicules d’images. Comme nous en avions parlé, la pierre, la roche, la terre, peut être envisagée comme une potentielle « mémoire de la terre ». Un disque dur biologique. Il y a une relation entre les pierres et les images, je crois. Dans des relations intimes avec des pierres, nous –  les humains – éprouvont différentes sensations. Les échangent peuvent parfois être proprement des images. Pour autant, je ne sais pas si les pierres révèlent des images, si elles en produisent, ou si elles en retiennent. »

Corps conducteur d’images, de sons, de lumière

Le côté conducteur fait appelle à l’idée de véhiculer une énergie invisible, qui passe par différents filtres : le corps humain (pour le son par exemple) et les roches (pour la lumière). Sont alors évoqués différents principes physiques.

Nous pensons avec l’artiste à ce qui est visible pour la pierre, est ce que la lumière est visible pour la pierre ? A la lumière comme condition du visible ? Et donc nous nous demandons quelles sont les conditions de l’image ? Et est-ce que la pierre « sent » ou « perçoit » quelque chose même si au niveau physique elle ne peut pas « voir » à proprement parlé (apparemment du moins) puisqu’elle n’a pas de cellules photosensibles.

Mais les questions demeurent : « Qu’est ce que je ne vois pas et qui me traverse, qu’est ce qui se véhicule et que je ne vois pas, mais que je peux néanmoins percevoir et sentir ? » Et « Comment faire pour isoler cette chose qui me traverse, et pour la maîtriser ? » D’où l’idée du son, comme véhicule premier de transmission (transmission d’une onde, du vibration) Le son pourrait être le véhicule du rêve de la sensation, de l’émotions, des images, désiré par l’artiste. Images et sons qui circulent. Quelque chose d’un médium, ou d’un transfert, en dessous.

Akim Pasquet cite alors Schopenhauer :

« […] on a, en effet, admis de tout temps et en tout lieux qu’en dehors de la manière normale de provoquer des transformations dans le monde, grâce à l’enchainement causal des corps entre eux, il y en a une autre, totalement différente de la première qui ne repose point sur cet enchainement causal ; […] Mais l’hypothèse faite alors était que, en dehors de la liaison extérieure – qui fondait le nexum physicum – entre les phénomènes de ce monde, il fallait qu’il y en eût encore une autre, qui eut son principe dans l’essence en soi de toute choses, pour ainsi dire une liaison souterraine, grâce à laquelle, à partir d’un point du phénomène, on pouvait agir sur n’importe quel autre, à travers un nexum metaphysicum […]. ». Arthur Schopenhauer, De la volonté dans la nature, Paris, PUF, 1969, p. 166.

et

«L’étiologie… nous apprend que, d’après la loi de cause et d’effet, tel état de la matière en produit tel autre, et, après cette explication, sa tâche terminée. Ainsi elle se borne à nous démontrer l’ordre régulier suivant lequel les phénomènes se produisent dans le temps et dans l’espace, et, à le démontrer pour tous les cas possibles… Mais sur l’essence intime de n’importe lequel de ces phénomènes, il nous est impossible de formuler la moindre conclusion ; on la nomme force naturelle, et on la relègue en dehors du domaine des explications étiologiques… la force même qui se manifeste, la nature intime de ces phénomènes constant et réguliers, est pour elle [la science] un secret qui ne lui appartient pas, pas plus dans le cas le plus simple que dans le cas le plus compliqué, car… la force qui fait tomber une pierre, ou qui pousse un corps contre un autre, n’est pas moins inconnue et mystérieuse pour nous, dans son essence, que celle qui produit les mouvements et la croissance de l’animal

Clément Rosset, Schopenhauer, philosophe de l’absurde, Paris, PUF, 2013 (1967), p.8-9

Les courants invisibles

L’idée est aussi émise de travailler sur la vie qui anime ce qui semble être inanimé.
Le fait d’avoir la sensation de ne pas vivre dans un monde inerte ou inanimé, même face à la roche, même face à la montagne. Le monde, l’univers, envisagé comme riche de vie et d’informations même à son niveau le plus léthargique. Il existe un système d’informations cachées ou occultes, parfois inaccessibles au non initié. C’est cette part de mystère qu’Akim Pasquet cherche à mettre à jour dans cette quête spirituelle et artistique.

Mettre fin à l’opposition physique/métaphysique. L’image, les songes, les sensations (Coccia – la vie sensible – confond de manière surprenante image et sensation) et leur économie semblent toujours appartenir à la métaphysique, plus qu’à la physique. Ou alors il y a une dualité matérialiste vs spiritualiste. Alors que la vie est un tout et participe d’un élan vitaliste global.

Conclusion 

Au final si le travail d’Akim Pasquet est un work in progress, il s’avère extrêmement riche de pistes et d’expérimentations à venir. Peut-être que la rencontre entre ces pensées et philosophies proches d’une spiritualité souvent refusée par la pensée occidentale contemporaine (contemporaine car ce ne fut pas toujours le cas) avec les nouvelles technologies de la programmation, de la diffusion et de la production d’œuvres d’art dites « numériques », aiderait à mettre à jour les flux invisibles d’énergies qui intéressent l’artiste. Ce croisement, cette rencontre, entre traditions philosophiques et scientifiques et modernité technique pourrait aboutir en résidence à une très belle proposition poétique à tout le moins. M.G